Et si nous faire du bien nous était interdit ?

« Faites-vous plaisir ! », « Lâchez-vous ! », « Prenez du temps pour vous ! » … Qui n’a pas entendu ces injonctions ? Et pourtant rien ne change. La majeure partie d’entre nous passe son temps à osciller entre la tentation de céder à ses envies et le « Non, ce n’est pas bien, il ne faut pas ». Pourquoi avons-nous tant de mal à être en amitié avec nous-même, à nous livrer à des expériences de félicité sans éprouver de culpabilité ou d’angoisse ?

J’entends régulièrement des personnes exprimer qu’elles ne prennent pas de temps pour elles en le justifiant par « je n’ai pas le temps, la maison à gérer, les enfants à s’occuper, le travail qui me prend beaucoup de temps, etc. ». La frustration à ne pas accéder à ce « graal » de prendre soin de soi est-elle accentuée par la permission que s’octroie leur conjoint (e) à prendre du temps pour lui (elle) : il (elle) « ne se prive pas de prendre du temps pour lui (elle), accepte des sorties entre ami.e.s sans se poser la moindre question sur les choses à faire, etc. ». Qu’est-ce qui nous agace au fond ? Pourquoi sommes-nous si doués pour fuir les instants de bonheur ?

Se faire plaisir implique de pouvoir vivre pleinement l’instant sans se placer sous surveillance interne. La faculté qu’ont beaucoup d’entre nous à vivre sous la contrainte d’obligations imaginaires venues de leur passé nous coupe l’accès à l’ici et maintenant. Les sensations du plaisir ne sont-elles pas uniquement ressenties dans cet espace-temps ?

Le verdict tombe : Coupable !

Est-ce en lien avec le regard des autres ?

Oublier son corps en se projetant dans le regard des autres empêche de nous incarner ; or, c’est une des clés de notre rapport au plaisir. « L’année dernière, j’ai été invitée à un salon pour y faire une conférence, se souvient Bérénice, 31 ans. J’aurais dû être flattée, savourer le plaisir de me retrouver sur une estrade avec un public qui m’applaudissait. J’étais tétanisée, terrifiée par les regards et par l’impression que je pouvais donner. » C’est un peu comme si, face aux autres, nous nous désertions. Si nous nous regardons du dehors, nous nous fermons toutes les portes.

Est-ce en lien avec notre capacité à l’auto sabotage ?

La censure peut aussi venir de notre vision rêvée de nous-même. Forgé par les modèles parentaux et socio-culturels dans lesquels notre enfance a baigné, l’idéal du moi fonctionne comme un instrument d’autocontrôle et s’alimente avec les diktats contemporains : l’efficacité, l’autoévaluation, la rationalisation, la rapidité, les capacités organisationnelles et prévisionnelles, la performance. Nous nous jugeons en permanence : « Ce que tu fais là est inutile, ne sert à rien… » Nous avons honte et peur de ne pas être à la hauteur. Et nous en concluons que se faire plaisir, c’est perdre du temps. Selon Anne Dufourmantelle, philosophe et psychanalyste, « l’idéal du moi nous empêche également de savourer l’instant présent. Nous ne pouvons pas l’apprécier sans nous projeter, sans nous dire : “Voilà, ça va se passer comme ça. »

Est-ce en lien avec des conflits de loyauté envers nous-même ?

L’accès au plaisir peut être bloqué par des conflits de loyauté qui se rejouent à l’intérieur de nous-même. Nous nous privons parce que nous tentons de rester fidèles aux premiers liens qui nous ont marqués. Si je mange ce gâteau, si je ne suis pas les recommandations données par maman il y a vingt ans, vais-je redevenir la petite boulotte dont elle se moquait pour son trop grand appétit : « Non mais tu as vu tes bourrelets ? » La philosophe constate que « quand nous avons été victimes d’un manque d’affection, d’attention, d’égards de la part de nos parents, nous reportons cette carence sur nous-même. Nous devenons notre propre “mauvais” père, “mauvaise” mère. Nous les portons en nous. Et, malheureusement, même si les rapports se sont améliorés entre-temps, nous gardons cette part sadique ancrée en nous. » Nous croyons nous aimer mais un espace s’est ouvert en nous, ce qui ne nous empêche pas de chercher profondément le plaisir.

Conclusion

Le plaisir serait-ce une des facettes de l’incarnation du lâcher prise ? Celles et ceux qui se demandent comment y accéder, peut-être pourriez-vous commencer par vous (ré)approprier votre corps, en prendre conscience, le toucher, le remercier de vous (sup)porter au quotidien… prendre RDV avec soi-même au quotidien en pratiquant des exercices corporels, la relaxation, la méditation, du sport, la marche… autant d’activités qui permettent d’atteindre l’alignement de votre tête et de votre corps ? Pour celui du cœur, se faire du bien n’est-il pas une façon d’être bienveillant avec soi-même ?

Alors, à quand l’accès à votre plaisir, simplement parce que « vous le valez bien » ?

Sandrine TOUITOU